jeudi 4 juillet 2013

L'homme qui savait la langue des serpents - Andrus Kiviräkh





Ce bouquin, ça fait un mois que je me le trimbale partout, tout le temps. D'abord parce que je lis lentement, puisque je lis deux-trois livres à la fois, et que j'évite de me forcer, maintenant que je suis en vacances. Ensuite parce qu'il fait quand même quelques bonnes centaines de pages, et que c'est tellement délicat que ça se savoure. Bref, je l'ai terminé hier soir, ou plutôt ce matin très tôt, et il m'a foutue une claque magistrale. C'est donc un bon livre pour commencer mes chroniques lectures.

D'abord, la couverture est magnifique. J'ai complètement flashé, et c'est resté un véritable régal de regarder ce dessin à chaque fois que j'ouvrais le livre. Et puis il y a le style, et plus encore la qualité incroyable de la traduction. Parce qu'avec un nom aussi farfelu, Kiviräkh est évidemment estonien. Je ne connais pas la langue, bien entendu, mais la traduction (Jean-Pierre Minaudier) fait bien sentir la finesse du style d'Andrus : ce roman est vraiment très agréable stylistiquement parlant. Et puis... C'est beau, ça nous fait entrer dans un monde complètement différent du notre (qui m'évoque un peu celui du Jour des Corneilles), dans une Estonie plus ou moins médiévale. 

C'est une réflexion sur la nature humaine qui oppose l'évolution vers la technologie à la tradition conservatrice (le "Back to the trees !" du grand père dans Pourquoi j'ai mangé mon père), et cette réflexion ne tombe jamais dans le manichéisme. Loin de montrer une société traditionnelle idéalisée car plus ancienne, donc plus légitime ("c'était mieux avant"), le roman ne fait pas non plus une apologie de la modernité, et en souligne les failles. Le dilemme du héros est donc d'être emprisonné entre deux époques, l'ancienne, dont il est le dernier survivant, et la nouvelle, à laquelle il ne peut s'adapter. 

En ce sens, le roman de Kiviräkh a quelque chose qui rappelle Beckett dans son traitement de l'isolement de l'homme face à un monde qui ne le reconnait plus. Il n'y a plus rien derrière, et que le chaos devant. C'est aussi au niveau du ton que certains passages rappellent Beckett : si dès la première phrase, le destin de tous semble scellé ("Il n'y  a plus personne dans la forêt"), et que cette phrase sur la fin est répétée à de nombreuses reprises, il ressort du roman un ton réellement joyeux, et souvent drôle. Cette énergie comique du désespoir est à l'image du livre, toute en nuances et en subtilité. Ce n'est pas seulement une belle histoire, bien traduite, avec des personnages touchant, c'est surtout un roman intelligent.

Je finirai simplement par vous citer la quatrième de couverture, et si jamais vous n'avez pas envie de le lire après ça, je ne pourrai plus rien faire pour vous :

Voici l'histoire du dernier des hommes qui parlait la langue des serpents, de sa soeur qui tomba amoureuse d'un ours, de sa mère qui rôtissait convulsivement des élans, de son grand-père qui guerroyait sans jambes, de son oncle qu'il aimait tant, d'une jeune fille qui croyait en l'amour, d'un sage qui ne l'était pas tant que ça, d'une paysanne qui rêvait d'un loup-garou, d'un vieil homme qui pourchassait les vents, d'une salamandre qui volait dans les airs, d'australopithèques qui élevaient des poux géants, d'un poisson titanesque las de ce monde et de chevaliers teutons un peu horrifiés par tout ce qui précède.

3 commentaires:

  1. J'ai toujours aimé quand tu faisais des critiques littéraires donc continue. Je crois que je vais le lire rien que pour ta référence à l'Oncle Vania et aussi pour cette traduction qui te plaît tant

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    1. Merci Mush', ça me fait plaisir que ça te plaise ! :D J'en ai fait d'autres des critiques littéraires ?
      Bonne lecture, alors ! Tu me diras ce que tu en penses, mais je crois qu'il va te plaire.

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    2. Pour lire on va attendre de rentrer en France. Et oui des fois tu nous parlais de tes livres sur ton blog :)

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